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Полине Виардо - Письма (1855--1858) - Мемуары и переписка- Тургенев Иван Сергеевич



10(22) февраля 1855. Петербург

St. Pêtersbourg,

le 10/22 fêvrier 1855.

Il y a quatre jours que je suis de retour de Moscou1, chère et bonne Madame V. Une lettre de vous m'attendait chez moi et m'a rendu bien content, non pas prêcisêment par son contenu, mais par la certitude qu'elle m'a donnêe de la continuation de notre correspondance. Hêlas! elle ne bat que d'une aile, cette pauvre correspondance - et cependant, Dieu m'est têmoin que jamais mes amis ne m'ont êtê plus chers! - Il me serait bien pênible de penser que mon souvenir est affaibli là-bas, et je vous suis bien reconnaissant pour les paroles affectueuses qui terminent votre lettre...2 Au nom du ciel, dêbarrassez-vous bien vite de votre grippe et donnez-moi des nouvelles de vos concerts. Je suis affreusement grippê dans ce moment (la moitiê de Pêtersbourg l'est avec moi) et je sais combien c'est impatientant. Je suis restê à Moscou un mois à peu près3, j'y ai passê mon temps fort agrêablement, j'y ai fait beaucoup de nouvelles connaissances4. Beaucoup de projets littêraires s'agitent dans ma tête...5 mais le temps n'est pas à ïa littêrature.-- Il s'organise maintenant une levêe en masse dans tout l'Empire - les officiers de la milice seront êlus au mois d'avril dans mon gouvernement. Si je me trouve dans le nombre, eh bien! j'êchangerai bravement la plume contre le mousquet, et je tâcherai de remplir mon devoir aussi ênergiquement que je le pourrai. Notre pays entre dans une grande crise - les bras de nous tous ne lui feront pas dêfaut6.

Pardon de cette digression, mais il est difficile de ne pas parler de ce qui remplit tous les cœurs russes daus cet instant...

Vous ne me dites rien de Pauline, j'espère qu'elle va bien et ne fait pas trop la paresseuse. Mille remerciements au bon V pour son affectueuse complaisance. Je regrette vivement d'être toujours en retard avec mes payements, mais je suis bien dêcidê à ne-pas quitter P<êters-bi)ur>g (ce sera vers la fin du mois de mars)7 sans avoir envoyê toute la somme annuelle d'avance.-- Je travaille en même temps à assurer l'avenir de la petite et si Dieu me prête vie, ce sera fait dans le courant de l'annêe.

Il paraît que Mme Lagrange ne revient pas l'hiver prochain. On parle de Mme Bosio... si... mais voilà un si bien fou! Il ne faut pas même se permettre de penser à des choses si bonnes et si impossibles8. L'opêra a bien mal marchê, c'êtait du reste assez naturel... Je vous prie de ne pas oublier votre promesse et de me parler de vos concerts. Votre dernière lettre est bien courte et, pardon de l'expression, bien sèche! Pourquoi me taquiner à propos de Mlle T?9 Vous ne me dites rien de Mme Garcia - dites-lui que je lui garde un souvenir bien tendre. Rappelez-moi à Mme Sitchès, à votre frère... Quand je pense que Louise, cette petite Louise que j'ai laissêe à CourtaveneL est dêjà une grande demoiselle de 13 ans! En vêritê, la vie fuit et disparaît trop vite... Vous verrez que je ne reviendrai à Paris (si tant est que j'y revienne) que pour être le parrain du quatrième enfant de votre fille cadette.

Avez-vous complètement oubliê le russe? Voici pourquoi je vous fais cette question. Un de mes amis vient de faire paraître les deux premiers volumes d'une magnifique êdition de Pouchkine10. Je le sais par cœur, mais il y a telle pièce de vers, qui, replacêe de nouveau sous mes yeux, m'a fait aussi une impression nouvelle. Si vous avez quelqu'un là-bas qui sache le russe, faites-vous traduire les vers suivants. Sinon, je vous enverrai ma traduction dans ma prochaine lettre: (N. B. Faites-vous expliquer chaque mot).

В последний раз твой образ милый Дерзаю мысленно ласкать, Будить мечту сердечной силой И с негой робкой и унылой Твою любовь воспоминать.

Бегут, меняясь, наши лета,.

Меняя все, меняя нас...

Уж ты для своего поэта Могильным сумраком одета И для тебя твой друг угас.

Прими же, дальняя подруга, Прощанье сердца моего - Как овдовевшая супруга - Как друг, обнявший молча друга Перед изгнанием его11.

Adieu, chère et bonne Mme V. Portez-vous bien, soyez heureuse et que le bon Dieu vous protège. J'embrasse avec tendresse vos chères mains.

Votre J. T.

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