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Полине Виардо - Письма (1866-июнь 1867) - Мемуары и переписка- Тургенев Иван Сергеевич



19, 20 марта (31 марта, 1 апреля) 1867. Москва

Moscou,

au comptoir des Apanages,

boulevard Pretchistenski.

Dimanche, ce 19/31 mars 1867.

Chère et bonne Madame Viardot, votre charmante lettre, avec son parfum printanier, avec ses petits brins d'herbe et de fleurs, est venue bien à propos1. J'étais dans un mauvais moment et j'avais besoin d'une bonne bouffée comme celle-là. Mon pied me fait mal depuis vingt-quatre heures,-- on dirait que c'est une rechute, et pourtant je suis aussi prudent que possible - et j'ai reèu, non pas une lettre, mais un hurlement de mon oncle2, qui me traite d'assassin pour n'être pas venu à Spasskoïé,-- comme si cette grippe, qui m'a saisi au passage, n'a été qu'une invention de ma part! Que ne donnerais-je pour avoir cet infernal voyage de Spasskoïé derrière moi! Et voici les chemins qui deviennent impraticables, la fonte des neiges s'établit, on ne pourra plus aller bientôt ni sur patins, ni sur roues. Que faire, bon Dieu! Je ne puis pas cependant me risquer dans ces casse-cou, avec cette goutte qui me reprend, avec la toux qui ne me lâche pas encore! D'un autre côté, me voici embarqué dans la publication de mon roman - cela va me retenir à Moscou pendant une semaine encore3. Quand je pense que si je n'avais pas cette excursion à Spasskoïé devant moi, rien ne s'opposerait à ce que je fusse à Bade dans quinze jours! - C'est là seulement que je serai guéri...

Lundi matin. 19 {Так в подлиннике.} mars/1-er avril 1867.

Les enfants ont parlé de moi aujourd'hui, j'en suis sûr - et de Mr de Massenbach4. Hélas! Mr de Massenbach est pris par la patte - et Dieu sait quand il pourra faire ces élégantes salutations, qui font de lui le modèle des chambellans! Mon gredin de pied continue à me faire mal - toute la jambe s'en ressent.

J'ai passé une partie de la nuit à écrire deux longues lettres à mon oncle et à mon nouvel intendant5, qui doit se trouver dans une situation horriblement embarrassante. Il y a un proverbe russe qui compare des exhortations inutiles à des pois chiches qui rebondissent, lancés contre une muraille. Je crains bien que mon oncle est cette muraille et que mes pois chiches vont me sauter au nez.

Je me suis traîné hier matin à un concert de musique de chambre avec Laub, Gossmann (qui par parenthèse m'a dit de le mettre à vos pieds) et N. Rubinstein. On a joué un délicieux quatuor de Mozart - le trio en si bémol majeur de Beethoven et Vottetto de Mendelssohn6. Laub est un peu trop uniformément doux pour Beethoven, N. Rubinstein joue mieux que son frère7, plus simplement et plus correctement. L'ottetto de M(endelssohn) m'a paru faible et vide après les deux autres... C'est de la littérature musir. cale - fort bien faite,-- un article de la "Revue des Deux Mondes",-- tandis que les deux colosses sont des poètes von Gottes Gnaden et font des choses qui ne doivent pas mourir. Le public a été très chaud. Serge Volkoff s'est approché de moi - et m'a demandé de vos nouvelles; il est presque aussi blanc que moi.-- C'est pourtant bizarre comme la vie s'en va vite, vite, vite.

J'ai dû faire une lecture de ma petite nouvelle - hier soir chez Katkoff8. Il y avait beaucoup de monde,-- peu sympathique. J'ai débuté et fini par une quinte de toux longue d'une aune.-- Je crois que cette bagatelle a plu. Katkoff me l'a retenue pour sa revue,-- c'est le principal9. Il m'a réitéré la promesse de me faire délivrer les dernières épreuves vendredi.-- Je pourrai quitter Moscou dès dimanche - j'aurai des affaires à terminer samedi avec mon libraire10. Que ferai-je la semaine prochaine? Je vois bien qu'il faudra avaler la couleuvre.-- Enfin, vous le saurez d'avance.

Merci, mille fois merci pour vos chères lettres; elles me sont bien nécessaires, elles me donnent du courage. J'embrasse les enfants, je dis mille amitiés à Viardot, à Louise, à tout le monde et je fais comme Gossmann, je me mets à vos pieds.

Portez-vous bien et au revoir.

Der Ihrige

J. T.

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