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Полине Виардо - Письма (Июнь 1867 - июнь 1868) - Мемуары и переписка- Тургенев Иван Сергеевич



15, 16 (27, 28) марта 1868. Париж

No 5

Paris.

Hôtel Byron.

Vendredi, minuit.

Theuerste Freundinn, j'ai été ce soir au Théâtre lyrique et j'ai entendu les trois premiers actes de "Rigoletto"1 avec Mlle Schroder. Avant de vous parler d'elle, je ne puis m'empêcher dem'exclamer: oh! que ce théâtre est tombé, ce théâtre où avaient retenti les nobles accents d'"Orphée"2! Ce n'est plus qu'un théâtre de province de 3-ème ordre: orchestre de province, public de province (No. Tout le monde, hommes et femmes autour de moi, avait les mains sales et les ongles noirs: les plus élégants se les nettoyaient avec des cure-dents); le ténor, Mr Puget - aurait été sifflé et battu à Carpentras3 - et quels costumes! quels choristes! Un directeur d'orchestre de 20 ans qui battait la mesure à contretemps - les instruments jouant cahin-caha - et la salle à moitié vide!! Quant à Mlle Schroder - sa figure est bien en scène: le jeu est nul, le geste gauche et monotone, la physionomie sans expression, la prononciation défectueuse; - la voix paraît toute petite, petite, surtout au commencement; mais elle chante très bien, très juste - avec beaucoup de goût et de grâce. C'était beaucoup trop fin pour le public - et pour les braillards qui l'entouraient. On la fait chanter tous les jours à la lettre, depuis que le personnel sérieux de Mr Carvalho4 est à la Renaissance5 - et elle paraît découragée - se ménage tant qu'elle peut et semble ne penser qu'arriver au bout de l'ouvrage. Pour vous tout dire - elle passa son air au troisième acte. Je n'ai pu rester jusqu'à la fin - j'avais promis d'aller chez Mme Mohl, cette vieille brave femme de 100 ans, si étrange et qui professe des sentiments si tendres à mon égard. Elle reèoit tous les vendredis. J'y ai vu Lau-gel, Lanfrey, Scherer, Dupont-White, Renan, auquel je n'ai pas voulu me faire présenter: il me déplaît, ce séminariste "délicat"6. Sa femme était là aussi, énormément engraissée. Il paraît décidément que mon livre a du succès: on m'en a fait des compliments7. J'ai fait connaissance avec Liebreich, le célèbre oculiste: c'est un des plus fins visages que j'aie jamais vus. Il m'a parlé avec admiration de Helmholtz, son maître.

J'avais dîné chez Pomey, auquel j'au dû raconter en détail le sujet du 3-ème opéra et qui brûle déjà du désir d'avoir ses morceaux et de les chanter8.

Mais quel effet la musique de Verdi m'a fait après celle de Mr Thomas9! Il me semblait être transporté en plein soleil après avoir erré dans je ne sais quel brouillard épais et humide. On a au moins un musicien devant soi - et non un monsieur qui s'évertue à ne rien dire en employant force subjonctifs. Oh! la science des impuissants! Y-a-t-il quelque chose de plus agaèant et de plus insupportable!

Samedi. 8 h. du matin.

Je pars dans deux heures pour Rougemont et j'en reviens après-demain matin; je vous écrirai dès ce soir10 - mais vous n'aurez ma lettre qu'après-demain, de faèon qu'il y aura un jour de vide... Mais non! il n'y en aura pas--puisque cette lettre arrivera demain! Je vous demande pardon de l'expression ambitieuse de vide; vous comprenez ce que je voulais dire. C'est à moi que la journée de demain n'apportera pas de lettre!

Je vous en conjure - envoyez-moi quelque chose à montrer à Flachsland11... vous aurez encore le temps.

Ecrivez au docteur: il semble un peu blessé du silence qu'on a gardé après son départ12.

Mille et mille amitiés à tout le monde en commenèant par Viardot; viele Küsse Ihren lieben Händen.

Der Ihrige

J. Tourg.

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