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Полине Виардо - Письма (1850-1854) - Мемуары и переписка- Тургенев Иван Сергеевич

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4 (16) июля 1850. Москва

Moscou,

le 4/16 juillet 1850.

Me voila a Moscou, chere et bonne Madame ViardoU A Moscou... Je n'ai pas trouve Zinovieff a Krestzi1 - une affaire importante l'avait appele a je ne sais combien de verstes de la. Je suis arrive ici avant-hier, je suis descendu a ce meme hotel de Dresde, ou vous avez demeure pendant une semaine2 et depuis hier je loge dans la petite maison de mon frere3. J'ai revu ma mere. J'ai retrouve les affaires dans l'etat le plus pitoyable, mais je vous en parlerai plus tard, quand j'aurai regarde un peu autour de moi. Qu'il vous suffise de savoir que je me fais l'effet d'etre entre dans une cave humide et malsaine pour y rester Dieu sait combien de temps. Ah! le soleil, le grand air, tout ce qui rend la vie belle et bonne - je l'ai laisse la-bas avec vous, mes amis. Que je suis loin de vous! Combien de lieues nous separent! Combien de jours, de semaines, d'annees peut-etre s'ecouleront avant qu'il me soit donne de revoir vos traits cheris, de respirer a l'aise dans votre chere presence. Ne m'oubliez pas, pensez a moi, je vous en supplie - pour moi - que voulez-vous que je fasse, que voulez-vous que je dite pour vous faire comprendre combien le souvenir que je garde de vous m'est doux et cher? 11 est encore bien plus quo tout cela; ce sera, je le prevois, ma seule ancre de salut, quand, au milieu des debats penibles qui m'attendent, occupe a remedier laborieusement a toute sorte de mauvaises et tristes choses, je sentirai mon coeur defaillir de fatigue et de degout. Ce sera ma seule consolation. Quand je penserai a tant de bonte, de verite, de douceur, de beaute, quand je penserai surtout a l'affection qu'on me garde, j'aurai peut-etre plus de courage a laver toutes ces vieilles plaies, a affronter tous ces chagrins et toutes ces miseres. Du reste,; vous me permettrez, n'est-ce pas, de vous confier mes tribulations? Cela me soulagera tant! Je voudrais tant vivre sous vos yeux... et cependant, quand je pense que c'est a Courtavenel que vous allez recevoir ces lettres, pleines de tristes et vulgaires debats de famille, je crains quo l'impression facheuse qu'elles vous produiront, ne rejaillisse involontairement sur moi. Decidement, je ne vous dirai que les resultats. Je ne veux pas gater le souvenir que vous avez de moi; c'est mon tresor le plus cheri et celui que je garde avec le plus d'anxiete.

Des demain je vais commencer une espece de journal que je vous enverrai. Aujourd'hui, ce n'est qu'une petite lettre pour vous annoncer mon arrivee. Ah! mes chers amis, que je suis triste! et que j'ai le coeur gros! Mais non, il ne faut pas trop vous parler de cela.

J'ai trouve mon frere marie. J'en suis bien aise. Sa femme est une excellente personne. Ma mere, qui a fait quitter le service a mon frere, comme condition de son consentement a ce mariage, ne l'a pas admis en sa presence depuis qu'elle est ici - leur position est precaire, humiliante, impossible. Ma mere est entouree d'une foule de parasites qui la grugent; s'ils ne faisaient que cela. Mais il y en a deux ou trois qui ont sur elle une influence funeste, et malgre sa faiblesse extreme, c'est elle qui dirige tout... Vous pouvez vous imaginer ce que cela devient!4 Voyons - cependant - j'avais promis de ne pas vous parler de tout cela.

Quand recevrai-je votre seconde lettre? Il faut quinze jours pour qu'une lettre de Londres parvienne ici-- quinze jours! Je tacherai de decouvrir quelque journal anglais. Je vous en prie, quand vous m'ecrirez, dites-moi ce que vous avez chante chaque fois... Mais fou que je suis, votre reponse ne m'arriverait que dans un mois! Cela ne fait rien - vous serez encore a Londres a cette epoque. Ici, on repand le bruit (et j'en ai entendu parler a St-P<etersbourg" que le general Guedeonoff est alle vous chercher et qu'on veut vous avoir a Petersbourg a tout prix. Le souvenir que vous avez laisse en Russie est si fort et si vivace que je ne saurais vous l'exprimer; on vous adore ici. Ce qui n'empeche pas que vous ne viendrez pas en Russie 6. Il ne le faut pas. Votre position est trop belle pour la quitter de gaite de coeur. Et puis, vous avez tant de belles choses a faire... Oh non! restez en France et que le bon Dieu vous y donne tout le bonheur, toute la joie qu'il tient en reserve pour ses meilleures, ses plus cheres creatures! Sante, bonheur, gloire, tout vous est du et vous en jouirez pleinement ou il n'y a pas de justice dans ce monde.

J'ecrirai demain et sans faute au bon Gounod que je vous prie de saluer de ma part.

Chere Madame Viardot, permettez-moi de finir ma lettre maintenant. Je suis trop triste, trop preoccupe pour continuer aujourd'hui. Cependant je ne veux pas attendre jusqu'a demain pour l'envoyer. Je regarde Diane de temps en temps efciui dis: "Eh bien, pauvre petite, nous voila bien loin de chez nous". Je me remettrai bientot, je l'espere. Maintenant donnez-moi vos deux mains et laissez-moi vous souhaiter tout le bonheur imaginable. Soyez heureuse et benie, moine beste, theuerste Freundinn. Mille bonnes choses a Lout lo monde. A bientot, helas! sur le papier.

Adieu, adieu. Soyez heureuse, soyez heureuse.

Votre J. T.

J'envoie tout l'amour de mon ame la-bas. Cher Courtavenel, je le benis mille l'ois. Adieu.

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