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Полине Виардо - Письма (1850-1854) - Мемуары и переписка- Тургенев Иван Сергеевич29, 30, 31 марта, 1 апреля (10, 11, 12, 13 апреля) 1850. Париж Paris. Mercredi, 10 avril 1850. Bonjour, Madame. Guten Morgen, theuerstes, liebstes Wesen. Que vous avez ete donc bonne de nous dire de si douces pnroies dans votre lettre1 - vraiment - ce serait a consoler de l'absence. Si l'absence n'etait une si vilaine chose. Ah! vous etes bien cherie et vous vous faites bien regretter! La nouvelle de la mort de ce pauvre frere de Gounod a du vous affliger beaucoup2; je n'ai cesse d'y penser tout со temps-ci; a l'heure qu'il est, vous lui ecrivez probablement. Je le vois tous les jours. Il va assez bien. Seulement je prevois une chose: c'est qu'il va vouloir s'enchainer aux cotes de sa mere et je n'ai pas besoin de vous dire les desavantages qui en resulteront pour lui. Enfin, nous verrons. Vous lui parliez dans votre lettre de la pauvre Mme Beer, qui elle aussi, vient de perdre son fils3: vous pouvez vous imaginer combien ce que vous lui disiez a du l'emouvoir et le frapper en meme temps. Par une coincidence non moins etrange nous avons eu avec lui vendredi passe - la veille meme de la mort de son frere - une longue conversation sur l'immortalite de l'ame... Le lendemain, je vais chez lui, sans me douter de rien: une femme, que je ne connais pas, vient m'ouvrir la porte d'un air effare. Un mauvais pressentiment m'a saisi aussitot; elle m'introduit dans la petite chambre. Gounod entre et me dit: Ah! mon ami - mon frere n'existe plus!.. Nous sommes restes longtemps ensemble: il se levait de temps en temps pour aller voir sa mere. Un vieux pretre a figure venerable est venu; il s'est efforce de le consoler en lui parlant de la felicite a laquelle, selon toute probabilite, le defunt avait ete appele. Car il avait communie quelques jours auparavant. Eh bien! je vous assure que, malgre les excellentes intentions de ce bon vieillard, cela sonnait faux et surtout cela ne diminuait en rien la douleur... Je tache de lui etre utile autant que je le puis; je resterai ici encore 4 a 5 jours; je ne partirai que quand je le verrai de nouveau sur la voie. Pour moi, je suis tout a fait retabli de mon angine... et ma legitime 4 semble aussi vouloir se relacher de ses rigueurs. A demain. Que Dieu vous benisse mille fois! Portez-vous bien. Jeudi. Gounod va bien. Il a maintenant une foule de formalites a remplir; la mort d'un homme occupe laisse un terrible creux dans la vie et ce trou veut etre bouche aussi vite que possible... Vous comprenez que je ne parle pas ici du vide laisse dans les affections. Cependant, je crois que des que Gounod pourra respirer un peu a l'aise, il se remettra au travail. J'ai vu hier pour la premiere fois Rachel dans "Andro-maque" B. Ce role de haine et de jalousie lui va a merveille comme un moule. Elle a eu des fremissements de rage et de dedain dans la voix a rendre jalouse une hyene. Le geste qu'elle fait en lancant sa derniere malediction sur Oreste est magnifique... Elle fait un demi-tour sur elle-meme pour la lui jeter a la tete, comme un pecheur lance son filet - c'est tres energique et tres beau. Et cependant, il manque tant de choses a son talent: ou plutot il n'y a qu'une chose qui lui manque: le coeur - et cette noblesse vraie qui ne vient que de la. Elle n'a que la noblesse du corps, des lignes; le coeur chez elle est remplace par un vieux sou dore a la Ruolz; aucun accent genereux et emu n'est sorti de cette bouche crispee et venale. C'est une nature abstraite; il n'est pas etonnant qu'elle ne se trouve a l'aise que dans les anciennes tragedies francaises, qui, toutes belles qu'elles soient (vous connaissez mon admiration pour Racine et Corneille) ne sont pourtant que des abstractions. Hermione, c'est la Jalousie, Andromaque - la Fidelite conjugale, etc., etc. Mais une fois ceci admis - quelle finesse et quelle verite d'observation, quel travail de dentelle psychologique, quelle connaissance des moindres oscillations de la passion et quel bonheur, quelle justesse d'expression! Racine sait fixer par un vers ces oscillations fugitives, comme on fixe des papillons avec une epingle. Personne n'ecrit comme cela de notre temps, pas meme Mr Ponsard6. A propos de Ponsard, j'ai fait aujourd' hui une grande promenade aux Champs-Elysees en voiture avec ce bon Reynaud, qui m'a inonde d'alexandrins de sa composition. Je l'ai lachement loue en face, mais a vous je puis dire que c'est bien peu de chose... c'est si peu de chose que c'en est du rien gate. Bonsoir, portez-vous bien... Je ne puis encore fixer le jour de mon depart, mais quand je pense que je vais quitter la France peut-etre pour longtemps, mon coeur devient tout petit... Pauvre Courtavenel! je ne le reverrai pas cette annee... Patience. Geduld, Geduld - undwenn... A demain. Vendredi soir. A l'heure qu'il est, vous debutez a Berlin dans "Les Huguenots". Tous mes voeux sont pour vous et avec vous. (On les a donnes ici; Mme Laborde a eu un grand succes, a ce qu'on dit. A propos, Mme Ugalde a definitivement perdu la voix et part pour le Midi. On a donne son role dans le nouvel opera de Thomas7 a Mlle Leievre.) Je n'ai pas trouve Gounod a la maison aujourd'hui. Je lui ai laisse un petit mot ou je lui donne rendez-vous pour demain a la rue de Douai8. Je crois que je vais partir dimanche a huit heures du soir. Mon passeport est en regle, mes malles a demi faites. Et cependant je ne sais... j'ai du regret a quitter Paris. C'est surtout Gounod qui me retient. D'autant plus que ma legitime ne grogne pas trop. Je suis bien triste... je voudrais... je ne sais pas quoi. Je ne veux pas continuer ma lettre dans cette disposition d'humeur. Je vous souhaite tout ce qu'il y a de meilleur au monde... A demain. Samedi soir. J'ai recu aujourd'hui votre lettre, bonne et chere Madame Viardot, ainsi que celle de Viardot9. Voici - en deux mots - les resultats. J'ai vu Gounod aujourd'hui a la rue de Douai (il m'a dit vous avoir ecrit)10. Sa mere accepte la proposition que vous lui faites d'aller a Courta-venel, des qu'il fera beau; et j'en suis enchante pour elle et pour Gounod; l'autre proposition etait inacceptable pour beaucoup de raisons (je parle du changement de domicile); Gounod a du vous les exposer11. Elle le devient surtout, des qu'on accepte la premiere, qui, a tout prendre, est la seule importante. Pour ce qui est de l'offre exprimee dans la lettre de Viardot12, j'ai fini par montrer cette lettre a Gounod; il en a ete vivement touche et m'a prie de pouvour la garder pour la montrer a sa mere... Je ne crois pas que dans ce moment ils aient un pressant besoin d'argent. Cependant, cette offre est faite avec tant de delicatesse que, j'en suis sur, rien ne les empechera d'en profiter, s'ils le trouvent necessaire. Je me suis en meme temps decide de rester 8 jours de plus a Paris; je pourrai voir G<ounod> plus frequemment que jusqu'a present, et la promesse qu'il m'a faite de me montrer ce qu'il avait deja compose13 le remettra peut-etre en train de travailler. Il nous a lu la lettre que vous lui avez ecrite: vous etes bonne comme un ange. Vous n'avez pas besoin de me dire d'etre bon pour lui: je lui ai voue une veritable amitie. Vous pouvez donc encore m'ecrire ici. Je suis content de ne pas quitter Paris encore pendant huit jours. Adieu; vous etes bien bonne et l'on vous aime beaucoup. Mille bonnes choses a Viardot. |
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