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Полине Виардо - Письма (1850-1854) - Мемуары и переписка- Тургенев Иван Сергеевич2 (14) мая 1850. Париж Paris. Mardi, 14 mai 1850. Je m'empresse de vous dire, mes chers et bons amis - (et je le fais avec la joie d'un enfant) que, grace a une des lettres que j'ai recues ce matin de Bruxelles - non seulement je puis - mais je dois rester encore quelque temps en Europe.-- Je vais vous conter tout cela succinctement.-- Ce matin a 9 heures je me presentai fort emu a la poste: on m'y remit cinq lettres.-- Je regardai avidement les adresses avant de les ouvrir - je reconnus toutes les ecritures: la Ire etait de vous - (cette ancienne petite lettre que vous m'ecrivites a Bruxelles), la 2de de mon frere, la 3eme dela jeune demoiselle adoptive de ma mere1, la 4me de Krajeffski - la 5me enfin d'un ami de Petersbourg, que je ne veux pas nommer2. Je commencai par la votre - a tout seigneur tout honneur - et puis, quoi que vous en dites, vous ne m'avez pas trop gate sur ce chapitre-la cet ele - je connais quelqu'un a qui j'ai plus d'une fois porte envie - en recevait-il des lettres celuila! et charnues, pleines, a ecriture serree, se resserrant encore vers la fin3 - j'ai donc lu votre petit billet le premier et je l'ai trouve adorablement bon et charmant, comme tout ce qui vient de vous4.-- Puis, j'ai ouvert la lettre de mou frere.-- Loin de pouvoir m'envoyer de l'argent, il est lui-meme dans un etat atroce: ma mere lui a fait quitter sa place a Petersbourg ou il recevait des appointements assez considerables - en lui promettant en revanche de consentir a son mariage et de lui abandonner la direction de ses biens... Il a accepte pour sa femme... mais une fois le mariage consomme, ma mere ne lui a rien donne... Elle a meme fait en sorte que notre petit bien ne nous appartient plus - et le voila maintenant completement a sa merci, sans le sou, dans une des terres de ma mere qu'on lui a confiee pour l'administrer. Vous vous imaginez le ton de desolation qui regne dans sa lettre. Il me raconte tout ce quo sa pauvre femme a a subir de desagrements, etc. etc. etc.5 Je comprends maintenant pourquoi avec le peu de caractere que Dieu lui a donne, il n'a pas eu le temps de penser a moi - et je le plains de tout mon coeur. J'ai ouvert ensuite la lettre de la demoiselle.-- Cette jeune personne me fait la grace de m'envoyer 2500 francs - et me traite, probablement d'apres des ordres donnes, en veritable fils prodigue, repentant et gueux.-- Il faut que je sois a Moscou pour le 1er juin, jour de sa fete - et alors on verra si je merite qu'on me pardonne6.-- J'ai empoche les 2500 francs sans le moindre remords de conscience, car mon petit bien dont on a confisque les revenus me rapportait presque le double par an - et voici 18 mois que je ne recois pas le sou.-- La lettre de Krajeffski etait tres courte: pas un mot sur mon retour, des compliments sur mes derniers ouvrages7, l'annonce que la censure avait completement defigure le dernier8 - et une lettre de change de 800 francs8.-- Arrive enfin la derniere lettre: celle-la vient d'un ami pas tres intime - mais il m'a rendu un service plus grand que tous les autres: il m'ecrit une lettre de deux pages, envoyees par occasion de Berlin. Voici ce qu'il me dit: "Mon cher ami, j'apprends que vous avez l'intention de retourner en Russie; je serais enchante do vous y revoir - et je crois meme que vous pourriez le faire avec assez de surete - votre nom n'ayant pas encore ete prononce en certain lieu; cependant, je vous conseillerais d'attendre: dans cet instant, on organise une veritable battue (c'est la le mot dont il se sert) contre tous les gens un tant soit peu suspects dans toute la Russie: les arrestatiens pieuvent - l'Emp<ereu>r, qui s'en va a Varsovie est d'une humeur tres belliqueuse; il faut laisser passer cet orage; je sais que vous n'avez jamais eu de demeles avec la politique et vos ouvrages (c'est lui qui parle) pourraient vous proteger jusqu'a un certain point - cependant, si rien ne vous presse, attendez encore... Vous pouvez le faire en toute surete, je vous en reponds". (Ces derniers mots sont deux fois soulignes par lui dans sa lettre.) "Ne revenez pas aussi longtemps que le vent n'aura pas tourne, entendez-vous?" Cet ami a des parents en haut lieu et bien renseignes.-- Sa lettre coincidait tres bien avec le secret desir que j'avais1 de rester ici encore quelque temps - pour que je ne profitasse pas des conseils qu'elle renferme et que je crois tres raisonnables.-- Dans tous les cas, je puis en toute surete de conscience attendre maintenant votre retour a Courtavenel - et la nous debattrons gravement et definitivement cette affaire.-- Allons! - un grand poids m 'est tombe du coeur - je suis heureux et content comme un enfant.-- Je suis heureux - et cependant je ne crois pas avoir fait acte de faiblesse - n'est-ce pas? - Allons, allons - die schonen Tage von Aranjuez sind noch nicht voruber10. Vive<nt> les bons et vrais amis qui pensent aux absents, vive Courtavenel, vive la Republique, vive "Sapho", vive Viardot, vive Pauline Viardot, vive... Je ne sais plus quoi ajouter.-- Vive tout - excepte ce qui est mechant. Je repars demain pour Courtavenel - j'ai pleure comme une bete dans la diligence depuis Rozay jusqu'a Fontenay - mais je ne m'en repons pas - je vais rire comme un bossu pendant le meme trajet - je ramene Diane; j'embrasserai tout le monde jusqu'a Cuirassier.-- Hourrah! Vive la Republique! - -- - Ecrivez-moi, je vous en supplie, a Courtavenel, des que vous aurez recu cette lettre - пожалуйста, пожалуйста. Vive la Republique! J'ai ete hier avec Mlle Berthe entendre Mlle Alboni dans "Le Prophete": son succes y est tres grand, quoique pas aussi grand que pourraient le faire croire les journaux.-- Rassurez-vous - vous n'avez rien a craindre d'elle... ce ne sera jamais (dans son jeu) qu'une ecoliere et son chant n'est pas plus dramatique que ma botte.-- Elle vous copie servilement, jusque dans les moindres gestes, les moindres details de jeu scenique, d'intonation, de costume... mais il y a pour le moment engouement.-- Cependant, il n'y a pas eu de bouquets hier... mais Roqueplan la soigne comme personne n'a ete soigne.-- Je n'ai jamais vu de claque plus formidable et mieux disciplinee. On ne lui fait pas du tout repeter le "Comme un eclair" qu'elle dit mal.-- Je voulais remettre le detail de cette representation jusqu'a demain - mais je puis aussi bien le faire aujourd'hui. - La ritournelle qui precede son entree m'a peniblement serre le coeur... elle entre, descend les marches,.. Grand applaudissement. Elle est vetue comme vous - seulement on lui a ajoute un grand manteau de meme couleur pour cacher son obesite.-- Elle commence le recitatif: bonne prononciation, voix empatee, grasse, mais huileuse et douce a l'oreille.-- Le petit duo avec Berthe. Insignifiant... on ne l'entend pas.-- Dans le jeu copie servile. Elle n'est pas sotte et sait tirer parti de sa graisse pour se donner un chic maternel.-- "Ah! mon fils" - tres bien chante - mais comme on chante un air de concert: pas la moindre emotion dans la voix - absence d'emotion dans le public, mais grand applaudissement.-- En general, le public ne m'a pas paru une seule fois emu dans tout le courant de la soiree - mais seduit par le charme physique de la voix. Combien de gens n'en demandent pas davantage - et en veulent meme secretement a ceux qui le leur donnent! 4me acte. Air de la mendiante - peu d'effet - on n'a pas oublie votre: a mon pauvre enfant. Duo avec Berthe - bien.-- Cependant, je ne sais pourquoi, mon oreille commencait deja a en avoir assez de cette pate douce et molle.-- Scene de l'eglise.-- Imprecation - dite sans energie, avec un trait italien a la fin - et cependant applaudie avec trepignement - pour le trait et pour les notes basses du "qu'il soit maudit".-- Scene avec Jean jusqu'a la fin: essouffle, faible, ecourte.-- Cela une creation - un type! c'est une ecoliere, je le repete, qui se met en quatre, qui copie avec le plus de soin qu'elle peut.-- Pas grand succes.-- Les Francais sont cependant de grands badauds: vous lirez dans les journaux des phrases telles quo celles-ci: sobriete de geste, etc.-- Tout cela, c'est des betises... Elle veut faire ce que vous faites, mais son corps gras et lourd s'y refuse - elle reste a mi-chemin - et on nomme cela "sobriete".-- Je le crois bien, parbleu! Je suis sur que tout cela n'est rien et peut-etre servira-t-il a faire ouvrir aux Parisiens les yeux sur la grandeur et la largeur de votre talent. Vous etes une nature d'elite, Mlle Alboni est une excellente chanteuse. |
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